03 septembre 2024La téléexpertise en infectiologie : témoignage du Dr Castan du CH de Périgueux

Photo du Dr Bernard Castan, infectiologue au CH de PérigueuxPhoto du Dr Bernard Castan, infectiologue au CH de Périgueux

Le Dr Bernard Castan est infectiologue au sein du Service des Maladies Infectieuses et Tropicales du CH de Périgueux et président de la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF).
Dans une interview qu’il nous a accordée, il revient sur le déploiement de la téléexpertise dans le cadre du projet d’EMA 24 (Equipe Multidisciplinaire en Antibiothérapie) en Dordogne.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Dr CASTAN. Je suis infectiologue au service des maladies infectieuses du CH de Périgueux en Dordogne, et particulièrement en charge de l'activité transversale en tant que responsable de l'EMA 24.

J'ai été durant plusieurs années secrétaire général de la SPILF dont je suis l’actuel président .
J'ai coordonné pendant six ans le groupe des recommandations de la SPILF (Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française, NDLR), ainsi que le groupe “Bon Usage des anti-infectieux” à sa création.

Pourriez-vous revenir rapidement sur ce qu’est une EMA ?

Dr CASTAN. Le sigle EMA signifie Équipe Multidisciplinaire en Antibiothérapie. Ce sont des structures, généralement intra-hospitalières, mises en place au sein des GHT et la plupart du temps rattachées au service de maladies infectieuses de l’hôpital de référence du territoire. Elles ont pour missions d’améliorer le bon usage des antibiotiques et plus largement des anti-infectieux.

Les différentes actions mises en œuvre dans le cadre de ces objectifs concernent le conseil en antibiothérapie, selon plusieurs modalités possibles, ainsi que la formation, la mise en place d’audit et d'évaluation des pratiques, la rédaction et la diffusion de protocoles et de référentiels locaux et la communication auprès du grand public.

Les EMA constituent le relais sur le terrain des Centres Régionaux d'Antibiothérapie (CRAtb) qui élaborent la politique régionale en matière de prévention de l'antibioresistance.

Si on s’arrête plus spécifiquement sur l’EMA 24, pouvez-vous nous en dire plus sur sa création, ses membres, ses rôles et missions ?

Dr CASTAN. L’EMA 24 est l'EMA de la Dordogne, localisée au CH de Périgueux. C'est une UF (Unité Fonctionnelle) rattachée au Service des Maladies Infectieuses et Tropicales.
Je suis en charge de sa coordination mais elle est, comme son nom l’indique, multidisciplinaire. Elle est composée d'un poste d'infectiologue à temps plein ainsi que d'un infirmier, également à temps plein, formé au bon usage des antibiotiques (titulaire d'un DU paramédical d'antibiothérapie). Nous nous appuyons également sur une collaboration ponctuelle mais régulière avec nos microbiologistes et pharmaciens du centre hospitalier.

Ensemble, nous travaillons pour promouvoir le bon usage des antibiotiques au sein de notre hôpital mais également dans toutes les structures de soins du département : hôpitaux, cliniques privées, établissements de soins de rééducation, EHPAD, ainsi qu’en médecine de ville.
Nous accompagnons les médecins, bien sûr, mais également les sages-femmes ou encore les infirmiers libéraux dans le domaine du diagnostic, de la prévention ou de la prise en charge des pathologies infectieuses et tout particulièrement de la prescription des antibiotiques. Nous avons également pour interlocuteur des pharmaciens de PUI (Pharmacie à Usage Intérieur) ou d'officines et les laboratoires de biologie médicale privés.

Vous avez mis en place en janvier 2023 un réseau de téléexpertise sur Omnidoc pour l’EMA 24. Pourquoi ce choix à la fois de la téléexpertise et d’Omnidoc ?

Dr CASTAN. La téléexpertise s’inscrit logiquement dans toutes les missions d'une EMA car l’essentiel de notre activité reste le conseil en temps réel. Si cela peut se faire via une ligne téléphonique dédiée, la téléexpertise apporte l'avantage majeur de la traçabilité et de la sécurisation pour la transmission des avis. Notre organisation permet de répondre en temps réel aux sollicitations en téléexpertise et, dans tous les cas, le jour même.

Contrairement à un simple appel téléphonique, le format de notre réponse via Omnidoc n'est pas limité en taille et permet, dans bon nombre de situations, d'argumenter notre propos et de faire acte de pédagogie en ajoutant si besoin des synthèses de recommandations en pièces jointes. Pour nous, c'est un outil extrêmement efficient, pertinent et qu'on utilise très largement.

Comment faisiez-vous avant Omnidoc et quels changements avez-vous constaté depuis ?

Dr CASTAN. Nous faisions essentiellement de l'avis téléphonique direct. Malheureusement, nous ne pouvions adresser aucune synthèse au requérant faute de solution sécurisée en termes de transmission d'informations médicales. Il n'était donc pas possible de s'assurer de la bonne compréhension du message transmis et, en cas d'intervenants différents dans le suivi du dossier, nous ne disposions d'aucune trace archivée.

Comment êtes-vous organisés en interne pour répondre aux avis sur Omnidoc ?

Dr CASTAN. Il y a une permanence du lundi au vendredi de 9h à 18h, durant laquelle un infectiologue de l’EMA 24 est en charge des avis en interne sur l'hôpital, via une ligne dédiée, et de la téléexpertise. Cet infectiologue va traiter toutes les demandes en se déplaçant dans les services et en gérant les avis téléphoniques que l’on reçoit encore, de sorte qu’il n’y ait aucune demande Omnidoc en souffrance à la fin de la journée.

Comme nous avons une permanence pour les avis infectiologiques et un bureau dédié, cela permet de recevoir les patients en consultation d’urgence le jour même si l’infectiologue le juge nécessaire. Cette offre de soins adaptée et réactive est très appréciée par nos correspondants médicaux.

Pour le patient, c’est également efficient et souvent rassurant car en quelques heures, il aura vu son médecin généraliste et consulté un infectiologue dont le compte rendu est transmis immédiatement à son médecin traitant, sans avoir à passer par un service d’urgence.

Quelles sont les demandes les plus fréquentes ?

Dr CASTAN. Je dirais que 60 à 70 % des demandes concernent des patients avec des infections assez complexes en milieu hospitalier ou en clinique privée.
Cela concerne assez largement des infections ostéoarticulaires sur implants prothétiques ou matériel d'ostéosynthèse du rachis ou des membres.

Ce sont des avis assez chronophages et souvent récurrents, c'est-à-dire que le même patient peut générer 5 ou 6 avis successifs, d'où l'importance d'avoir un chaînage du dossier car il peut y avoir plusieurs répondants. C’est important que tout infectiologue d'astreinte à l'EMA puisse ouvrir un dossier sur Omnidoc et voir l'exhaustivité des sollicitations antérieures.

Pour les autres sollicitations, il s'agit surtout de la médecine de ville avec des demandes concernant essentiellement des infections respiratoires, urinaires ou cutanées et une demande de précisions sur le choix et la durée de l'antibiothérapie de première intention.

D’où proviennent majoritairement vos demandes d’avis ?

Dr CASTAN. Les demandes d'avis viennent plutôt du milieu hospitalier, dont beaucoup sont envoyées par des chirurgiens et des anesthésistes.
Nous sommes régulièrement interrogés sur les stratégies thérapeutiques dans les infections du pied diabétique.
Nous sommes également souvent sollicités par des services de rééducation pour des infections urinaires, des infections cutanées ou des infections d'escarres et de plaie chronique, ainsi que pour des infections respiratoires dont toujours des infections COVID19.

Environ 30 à 35% des requêtes proviennent de médecins généralistes. Maintenant que notre activité est bien installée nous souhaitons communiquer davantage vers la médecine de ville pour promouvoir ce type de collaboration.

Concernant les généralistes, y a-t-il des demandes qui reviennent souvent ?

Dr CASTAN. Ils nous sollicitent principalement pour voir un patient en consultation ou vérifier qu’il est pertinent de nous l’envoyer.
Ce sont des demandes concernant des bilans de fièvre, des bilans de syndromes biologiques inflammatoires traînants ou inexpliqués, ainsi que des problèmes d'infections urinaires récidivantes qu’ils peinent à résoudre. Comme nous sommes en Dordogne, il y a également de fréquentes suspicions de maladie de Lyme.

Avez-vous des recommandations à adresser aux médecins généralistes pour optimiser les demandes d’avis qu’ils envoient ?

Dr CASTAN. Même si j’ai conscience que la téléexpertise est chronophage, je leur dirais de prendre le temps de construire leur demande tout en restant synthétique et en n’hésitant pas à ajouter toute pièce utile en pièce-jointe. L'avis rendu sera d'autant plus pertinent que l'information transmise est complète.

Mon deuxième conseil serait, sauf urgence, de toujours passer par la plateforme.
Quand une demande arrive par téléphone, nous incitons les requérants à faire en parallèle une demande sur Omnidoc même quelques heures plus tard. Cela n’empêche pas la réponse en temps réel mais on peut ainsi garder et transmettre une trace écrite de notre avis.

Pensez-vous que la téléexpertise puisse être un moyen de renforcer le lien ville-hôpital ?

Dr CASTAN. C'est une évidence car cela apporte une solution aux limites de l'avis par téléphone.
La qualité de l'argumentaire proposé permet de gagner en crédibilité et renforce ce lien de confiance entre des interlocuteurs de villes et notre équipe. Cela facilite largement la bonne compréhension de l’avis qui est donné, évitant les erreurs d'interprétation pouvant générer des prescriptions inadaptées.

Nous insistons également très largement sur les modalités de suivi et de surveillance de la tolérance aux antibiotiques prescrits ainsi qu'aux risques d'interactions médicamenteuses et aux contre-indications éventuelles.
La répétition de ces informations participe à l'effort de pédagogie pour les bonnes pratiques en matière de prescription des antibiotiques.

Des EMA émergent dans toutes les régions, qu’auriez-vous envie de leur dire ?

Dr CASTAN. L’une des missions majeures des EMA est le conseil diagnostic et thérapeutique. Et l’un des meilleurs outils pour le faire de manière qualitative et dans de bonnes conditions est la téléexpertise, pour trois raisons majeures.

La première, c’est la possibilité de poser les choses à l’écrit en faisant un compte rendu détaillé à partir des informations disponibles.

La deuxième raison est la possibilité d'analyser le dossier pour les situations les plus complexes ou de demander des informations complémentaires. Dans la plupart des cas, nous sommes en capacité de répondre immédiatement comme nous le faisons lors de sollicitations par appel téléphonique mais c’est parfois plus complexe. La téléexpertise nous donne alors le temps d’affiner notre réponse, en faisant des recherches ou en échangeant en amont avec d'autres collègues infectiologues, bactériologistes ou pharmaciens.

Enfin, la traçabilité que permet la téléexpertise est essentielle d'un point de vue médico-légal mais également en termes de cohérence des avis successifs pour un même dossier. En cas d'expertise sur un dossier d'infection, le médecin va pouvoir démontrer qu’il a pris l'avis d'un infectiologue et a suivi ses conseils.

Le mot de la fin ?

Dr CASTAN. Nous allons continuer à utiliser Omnidoc et nous souhaitons augmenter cette activité qui, à terme, doit représenter la part prédominante des demandes d’avis extérieures à l'hôpital.
Je pense que plus on s'habitue à faire de la téléexpertise, plus on a envie de privilégier ce mode de communication.

En revanche et contrairement à certaines spécialités, la téléexpertise en infectiologie nécessite une réponse rapide. Cela doit être du temps réel, avec au moins une réponse dans les heures qui suivent la demande et au plus tard dans la journée. Il faut donc s’organiser et dédier du temps à cette activité.


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