31 janvier 2024Comment constituer une ESS : interview de Dr Riaux, présidente de l’ESS Oncolu en Pays de la Loire

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Dr Anne Riaux est dermatologue en clinique privée à Nantes où elle exerce la dermatologie médico-chirurgicale. Avec le Dr Sandra Lachaise, elles ont réuni une équipe d’une quinzaine de dermatologues installés sur le territoire nantais et ont monté l’ESS Oncolu Télédermatologie. Elle revient pour nous sur la genèse de ce projet, sa constitution et son fonctionnement actuel.

Comment votre projet d’ESS est-il né ?

Dr RIAUX. L’incidence des cancers cutanés ne fait qu'augmenter. En parallèle, il y a de moins en moins de médecins, que ce soit les médecins généralistes - qui sont les médecins de premier recours pour la dermatologie - ou les médecins dermatologues, qui effectuent le diagnostic puis le traitement en association avec les chirurgiens-plasticiens et les chirurgiens ORL.

Dans un tel contexte de pénurie médicale, il est difficile pour nous de répondre à la demande, avec le risque de passer à côté de cancers évolués. Ce qui nous a motivé, c’est de proposer une solution de téléexpertise pour pallier la pénurie d’offre et limiter les retards de diagnostic des cancers cutanés. C'était important pour nous, pour des raisons de santé publique, de pouvoir proposer une solution concrète.

Avec des consœurs et confrères intéressés dans le secteur de Nantes, nous avons donc monté une équipe de santé spécialisée en onco-dermatologie pour laquelle nous avons choisi Omnidoc comme interface, puisque nous l’utilisons déjà tous et que c’est un outil efficace.

Comment s’est passée la constitution en ESS d’un point de vue administratif ?

Dr RIAUX. On a été extrêmement bien accompagnés : on a fait notre demande auprès de l'Union régionale des professionnels de santé (URPS) de Nantes et on a eu la chance de rencontrer un chargé de mission extrêmement impliqué dans la création des ESS. C'est lui qui s'occupe de tout ce qui est administratif.

Tout a commencé en mars dernier : on a eu une réunion avec l'URPS, puis avec la CPAM, puis avec l'ARS. C'était long, pas toujours facile. On ne s’est pas toujours senti soutenu par l’ARS qui voulait notamment que nous fassions toute la dermatologie et que tout le monde participe d'emblée. On a quand même fini par trouver un terrain d’entente. C'est surtout notre chargé de mission de l'URPS qui a fait le lien. Il a construit le dossier, il a fait la lettre d'intention avec nous.

Nous savions que la constitution de l’ESS prendrait à peu près un an : on a commencé en mars et le 12 décembre 2023, notre statut d’ESS a été publié au Journal officiel. Il nous a donc fallu neuf mois de gestation pour la création. Il nous reste encore le projet de santé à écrire, ce n’est donc pas tout à fait terminé.

Quel était l’intérêt de vous structurer en ESS ?

Dr RIAUX. Cela nous permet avant tout de collaborer de manière structurée sur un territoire donné avec nos autres consoeurs et confrères dermatos libéraux. En nous constituant en ESS, on peut organiser localement et optimiser le lien entre le premier et le second recours et ainsi apporter aux médecins généralistes une solution à la pénurie médicale. Tout cela bénéficie in fine aux patients qui pourront, notamment grâce à la téléexpertise, obtenir des avis dermatologiques rapidement.

Par ailleurs, la structuration en ESS nous permet de trouver du financement. La gestion administrative de l’ESS va commencer à représenter beaucoup de travail et le budget que va nous allouer l'ARS devrait nous permettre de financer à temps partiel une coordinatrice ou un coordinateur. L’objectif, c'est d'augmenter l'efficacité pour permettre à un maximum de patients qui ont besoin d'être vus de bénéficier d’une téléexpertise rapide et éventuellement d’un rdv en présentiel. Et pour cela, il y a toute une dimension administrative qui reste quand même très chronophage.

Le sujet des ESS est à l’agenda des négociations conventionnelles en cours. Qu'attendez-vous de ces négociations concernant les ESS ?

Dr RIAUX. Nous espérons que les financements seront confirmés. Nous attendons également que le seuil des 20% d’acte de télémédecine soit remonté pour ne pas être pénalisés par cette nouvelle activité qui rend service aux patients.

Nous espérons également ne pas être entravés dans notre exercice. Nous voulons garder la main : il n'est en aucun cas envisageable pour nous qu'il arrive un moment où l’on nous impose de faire quelque chose qu'on n'a pas décidé de faire. On ne souhaite pas que l’obtention des financements permette au système de devenir coercitif par la suite. On reste des médecins libéraux.

Comment fonctionne concrètement votre projet d’ESS ?

Dr RIAUX. Pour l'instant, nous nous sommes limités à la Loire-Atlantique et à la Vendée. Nous communiquons auprès des médecins généralistes de ces départements qui auraient difficilement accès pour leurs patients aux dermatos et donc à une consultation rapide quand ils suspectent un carcinome ou un mélanome, donc un cancer cutané.

Cela permet aux médecins traitants de pouvoir trouver une solution rapide et efficace pour nous adresser leurs patients et aux patients d'être vus plus rapidement. De notre côté, cela nous permet de prioriser nos demandes de consultations. Je pense qu'on est tous gagnants dans cette équipe de soins spécialisés, les patients comme les médecins.

Qui fait partie de l’ESS aujourd’hui ?

Dr RIAUX. Grâce à la dynamique préexistante entre les dermatologues du secteur nantais, notamment par le biais de notre association professionnelle Dermatologie Libérale 44, ce projet d’ESS a rapidement été connu de tous et cela nous a permis d’embarquer dès le début de nombreux confrères et consœurs. On a été d'emblée une quinzaine puis nous avons été rejoints par de nouveaux confrères et consoeurs ces dernières semaines.

Aujourd’hui, on est 17 dermatologues dans l'aventure. Il est probable que, chemin faisant, une dizaine de dermatos finissent par nous rejoindre. Ce qu'il nous faut, ce sont des médecins en Vendée. Ce n’est pas toujours évident : plus les médecins sont dans des territoires géographiques éloignés, plus ils sont débordés par la demande et plus ils ont peur de faire partie d'une ESS, par crainte justement d'être débordés encore plus par la demande. C'est à nous de leur expliquer qu'on ne fonctionne pas forcément en secteur géographique. On essaye du mieux possible d’éviter aux patients de devoir faire trop de route mais, vu la démographie médicale, il y en aura certains qui devront de toute façon se déplacer.

On est cependant confiant sur le fait que les freins vont rapidement se lever et que de nouveaux confrères et consoeurs vont bientôt nous rejoindre.

Comment fonctionne votre réseau sur Omnidoc ? Quelles règles d’organisation entre les différents membres avez-vous mis en place ?

Dr RIAUX. Nous avons mis en place un planning. On fonctionne par binôme : on s'est répartis par semaine, donc il y a deux dermatologues d’astreinte chaque semaine. Il y en a une qui prend les avis le matin, l’autre le soir.

Pour l’instant, le projet commence doucement - la première semaine où j'étais de garde, je n'ai reçu que quelques demandes. Mais cela nous convient bien, cela nous permet de nous familiariser avec ce nouveau mode de fonctionnement et de nous y mettre progressivement. Car il est certain que lorsque nous aurons suffisamment communiqué sur notre projet auprès des médecins du 44 et du 85, les demandes vont affluer en nombre.

Pourquoi avez-vous décidé de mettre en place un réseau de TE sur Omnidoc pour votre ESS ?

Dr RIAUX. La téléexpertise nous a permis de prioriser les demandes puisque ce sont des médecins de premier recours qui nous demandent un avis et non pas les patients. Cela nous permet d'avoir un filtre extrêmement efficace, celui du médecin généraliste, pour pouvoir voir des patients avec des suspicions de cancers cutanés. Cela permet surtout aux patients qui n'arrivent pas à avoir de dermatologues de consulter via leur médecin traitant, pour avoir un avis dermatologique assez rapidement, parce qu'en général nous répondons dans les deux ou trois jours grand maximum. Et puis cela permet aussi au médecin traitant de pouvoir déposer sa demande et de ne pas perdre son temps à téléphoner ou à faire des courriers qui n'ont pas forcément de réponse. Là, il envoie sa demande sur Omnidoc et nous prenons le relais.

Je pense que pour le médecin traitant, c'est aussi un très bon outil puisqu'il est valorisé dans le fait de demander un avis, ce qui n'était pas le cas avant. Et puis surtout, il perd beaucoup moins de temps, c'est tracé, ça va vite. C'est un outil qu'on a trouvé extrêmement performant après avoir été un peu déçus de la téléconsultation, comme beaucoup de dermatologues. Pour nous, la téléexpertise et la téléconsultation, ce sont deux choses complètement différentes et on est très peu, je pense, à téléconsulter alors qu'on est de plus en plus à faire de la téléexpertise. Et nous, clairement, on y a trouvé un grand avantage. Depuis qu'on fait de la téléexpertise, on revoit aussi des tableaux dermatologiques très intéressants parce qu'on peut à nouveau voir des patients urgents qui n'arrivaient pas à accéder à nos cabinets auparavant. C'est intéressant pour nous pour diversifier nos consultations et faire de la vraie dermatologie.

Quelles recommandations feriez-vous aux médecins généralistes qui veulent solliciter les membres de l’ESS Oncolu sur Omnidoc ?

Dr RIAUX. Nous avons élaboré une charte de demande qui est disponible sur notre réseau Oncolu pour que les médecins généralistes nous fassent des demandes qui soient suffisamment élaborées, précises, détaillées, avec des photos nettes pour qu'on puisse répondre. L'idée, c'est vraiment d'être efficace.

Nous aurions besoin que les médecins s'équipent avec des dermatoscopes. C'est relativement cher mais c’est indispensable pour tout ce qui est lésions pigmentées. S'ils n'ont pas de dermatoscope, on ne pourra plus à terme répondre à leur demande. D’ailleurs, l’une des missions de notre ESS, c'est de faire de la formation. On est cinq dans l'ESS à faire de la formation sur le département : on propose une formation en ”Dermatologie - Téléexpertise Niveau 1” pour leur apprendre la base, notamment à nous faire des demandes qui soient pertinentes.

Quels conseils donneriez-vous à d'autres dermatologues comme vous qui souhaitent monter une ESS dans d'autres territoires de France ?

Dr RIAUX. Selon moi, le plus important est de trouver la personne ressource dans l'administration qui va les aider. Sinon, c'est un peu le mont Everest.

Il faut aussi trouver un bon noyau de collègues avec qui on s'entend bien, des collègues motivés, qui ne vont pas avoir peur de s’investir, de participer à des réunions, de faire des formations, de se rendre disponibles.

C’est important de trouver des confrères animés par le fait de vouloir améliorer leurs pratiques. On peut facilement ronronner en cabinet, à voir toujours la même chose. Mais il est important de continuer à voir des choses intéressantes. Et grâce à la téléexpertise, on priorise nos consultations et voit des pathologies plus intéressantes qu’à l’ordinaire.

L’ESS, c’est aussi une solution qui répond à une problématique de santé publique. Il faut trouver des personnes qui soient aussi motivées par cela. On a une pénurie de médecins et on a besoin de prioriser. Il y a des patients qui ont besoin d'être vus et malheureusement, à cause de la pénurie, ils restent à la porte de nos cabinets parce qu'il n'y a personne pour faire le tri.

Nous avons monté un projet en cancéro mais il y a plein d’autres projets à mettre en place, comme les plaies par exemple. C’est important de trouver un sujet qui nous tient à cœur et d’essayer de le développer !


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